- Marina Laloux-Failliot
Apprentissage, motivation, émotions au cœur des apprentissages : comment apprenons-nous ?

Le cerveau est l’objet le plus complexe de l’univers connu, et c’est de sa compréhension que dépendra l’avenir de nos technologies futures et singulièrement l’intelligence artificielle et la robotique. Les sciences de l’esprit, sciences cognitives et neurosciences, ont fait des progrès ces dernières années et s’attaquent à des sujets de plus en plus difficiles.
Mais finalement, quelle est la vraie question à se poser sur l’esprit humain ? C’est de se demander comment s’adapter dans un monde dynamique et imprévu, alors que l’on dispose de très peu d’aide pour cela. Pour répondre à cette interrogation, des chercheurs ont soulignés l’importance, pour nos fonctions cognitives, de trois processus fondamentaux interagissant entre eux : l'apprentissage, la motivation, et les émotions. Ces trois processus impliquant des relations entre le cerveau, le corps et l’environnement.
L'apprentissage, où comment garder l’information importante
En quoi consiste exactement l'apprentissage ? L’apprentissage, c’est adapter une connaissance, initiale ou acquise, aux dérives et aux changements. Par exemple, si je vois un chien aboyer ou je l’entends aboyer je sais que j’ai affaire au même phénomène, bien que les modes de perception soient différents ; je vois ma main bouger et je touche un objet. Je comprends que ces deux actions sont liées. Un même objet ne se présente pas toujours sous le même angle, n’a pas toujours le même comportement, voire la même apparence (par exemple, le rapport entre un yorkshire et un pitbull est assez lointain, mais ce sont tous les deux des chiens).
Nous recevons bien trop d’informations en provenance du monde extérieur. Notre cerveau doit effectuer des choix pour réduire les data, ce qui se fait par la création d’un prototype.
Le rôle des émotions
Il existe une autre stratégie d'apprentissage, et celle-ci implique les émotions : le cerveau peut augmenter des signaux spécifiques internes ou externes, comme la douleur, le plaisir, la nouveauté…
Les émotions font que tous les éléments ne sont pas équivalents : ils n’ont pas la même importance. C’est la différence existant entre une cognition « froide », rationnelle, et une cognition chaude, émotionnelle. Cette dernière fonctionne suivant un schéma très binaire : les choses sont plaisantes ou déplaisantes, bonnes ou mauvaises…
On peut définir une émotion comme une information simple qui va avoir un impact énorme sur le corps. Elle peut en fait servir à deux choses. Tout d’abord à évaluer l’intensité, l’importance d’un événement. Mais l’émotion est également un signal social : je rougis, je tremble je bafouille, mon visage prend certaines expressions particulières.
Il existe plusieurs manières de catégoriser les émotions, l’une des plus connues est la « roue de Plutchick ». Le professeur et psychologue Robert Plutchik a représenté dans les années 80 la variété des émotions dans une roue : elle représente les 8 émotions principales, dont l’intensité augmente à mesure que l’on se rapproche de son centre.

Des émotions aux motivations : deux notions à ne pas confondre
Il existe deux types de motivations : les motivations extrinsèques, qui sont renforcées par des demandes venant de l’extérieur de notre esprit : faim soif, sexe, intégrité du corps…
Et il y a les motivations intrinsèques, d’ordre psychologique, comme la nouveauté, l’erreur de prédiction, exploration, la curiosité…
Cette notion d'« erreur de prédiction » est intéressante. Ce phénomène est associé à la sécrétion de dopamine, elle-même liée à la récompense, au plaisir d’avoir réussi quelque chose : lorsque nous réussissons quelque chose pour la première fois, nous éprouvons en effet une sensation de surprise (si nous n’avions pas cette réaction, notre « réussite » serait la simple exécution d’une tâche), donc le résultat ne correspond pas à la « prédiction ».

On peut être tenté de confondre motivation et émotions qui sont pourtant fondamentalement différentes. Les émotions donnent une valeur aux choses, mais elles demeurent passives. Au contraire, les motivations nous poussent à l’action : elles nous font dire : « Je veux… Je ne veux pas » et non « J’aime » ou « J’aime pas »…
Lorsqu’on essaie de comprendre cette intrication d’émotions et de motivations, on se heurte à des questionnements, des interrogations : je meurs de faim, je vois un croissant mais il est situé derrière un serpent, que dois-je faire ? Comment comparer des motivations ou des émotions, et évaluer leur importance respective ? Il faut pour cela une monnaie commune, et c’est le corps qui fournit cet étalon. Selon ce que je ressens au niveau biologique (ma faim, ma peur) je peux hiérarchiser les différents ressentis.
Cette réflexion sur les émotions, les motivations et l’apprentissage n’est pas exclusivement abstraite. Elle correspond à des données physiologiques qui peuvent être situées dans le cerveau.
Quel est le rôle des émotions dans le processus d’apprentissage ?
Dès l’enfance, les émotions sont au cœur de l’apprentissage. En effet, les études s’intéressant au développement de l’enfant ont mis en avant le fait que la sécurité affective était l’une des clés de la libération de ses capacités à communiquer, à comprendre et à apprendre.
Plus tard, tout au long de son parcours scolaire, les émotions continueront à jouer un rôle essentiel dans la manière dont un individu comprendra et apprendra des concepts.
Cela peut être des émotions positives, comme la joie. En effet, l’esprit va associer les contenus à retenir à une expérience positive, et ainsi contribuer à la rétention de ces acquis. D’autre part, un professeur qui parvient à faire rire ses élèves pourra mieux capter leur attention, et ainsi favoriser l’apprentissage.
Par ailleurs, lorsque l’on demande à des adultes ce dont ils se souviennent de l’école, ce ne sont pas tant les connaissances qu’ils ont apprises qu’ils énoncent spontanément, mais les expériences relationnelles, affectives et sociales qu’ils ont nouées et qui ont marqué leur rapport au savoir.

Paradoxalement, les émotions négatives peuvent également favoriser l’apprentissage. Ainsi, la peur peut aussi être un moteur de l’apprentissage. Par exemple, la crainte d’être interrogé par un professeur peut motiver un élève à apprendre davantage, plus tard, chez l’adulte, l’angoisse de l’incompétence (qui peut mener à la perte de son emploi par exemple) peut également constituer un moteur pour motiver l’apprentissage. Toutefois, attention au juste dosage, les environnements d’apprentissage trop stressants peuvent aussi être contre-productifs !

Si l’on associe indéniablement apprentissage et émotions, ces concepts peuvent également dans certains cas se contredire. En effet, parfois, les émotions peuvent perturber la concentration et empêcher la mémorisation de l’information.
Et les mémoires dans tout cela ?
Au centre de tout apprentissage, il y a la mémoire ou plutôt les mémoires. Tout d’abord il faut distinguer la mémoire déclarative (lorsque je sais quelque chose et que je peux l’exprimer verbalement : je sais que le ciel est bleu) et non déclarative (je sais faire du vélo).
La « mémoire de travail », elle, est une mémoire à court terme qui permet de se rappeler les événements récents. Elle est indispensable à l’exécution des motivations, puisqu’elle permet de se rappeler les buts qu’on poursuit.